Pendant des siècles, l’accouchement était exclusivement une affaire de femme. Aucun médecin (que des hommes à l’époque) ne daignait y mettre les mains : "Un accouchement ? Oulàààà non, ce n’est pas un travail d’homme ça !". Les femmes (appelées matrones ou ventrières) transmettaient leurs savoirs de manière empirique, oralement et sans réelle connaissance obstétricale. Évidement, bien qu'armées de la meilleure volonté du monde, elles faisaient parfois des erreurs manipulatoires, hygiéniques ou médicales.
Madame Angélique-Marguerite Le Boursier du Coudray, née à Clermont-Ferrand en 1712, était sage-femme à Paris. Elle avait la chance d’être instruite et adepte de la Philosophie des Lumières. Elle décida de transmettre ses connaissances et d’appliquer sa philosophie à son travail. Elle publie en 1759 un livre "Abrégé de l’Art des accouchements" accompagné de nombreuses illustrations colorées. Elle donnait ses cours avec un mannequin qui lui permettait de mettre en pratique les gestes obstétricaux. Elle commença à devenir réputée et reconnue.
Madame Angélique-Marguerite Le Boursier du Coudray, 1712-1791.
Photographie récupérée depuis ce site.
Entre-temps, Louis XV dit le Bien-Aimé était sur le trône de France. Il fit un constat amer : le nombre de femmes mourant en couche ou perdant leur enfant était bien trop élevé ; il fallait faire quelque chose. Il confia alors en 1759 un Brevet Royal à Madame du Coudray avec le devoir de former des sages-femmes à travers le Royaume : elle devait mettre fin à des siècles de superstitions et d’erreurs.
Aussi de 1759 à 1783, soit 25 ans, elle s’acquitta de sa tâche avec brio, allant de villes en villages avec son mannequin et forma entre 3000 et 5000 femmes (suivant les sources).
Parlons maintenant du mannequin. Ce dernier, grandeur nature, était d’une fidélité parfaite au corps de la femme (ventre, sexe et jambes en position obstétricale), avec une ossature en métal recouverte de tissu. Chaque organe (interne ou externe) était étiqueté et amovible (jusqu’aux trompes de Fallope). À ce mannequin s’ajoutait un bébé avec son cordon ombilical, un fœtus en cours de gestation et des jumeaux. Les apprenties sages-femmes pouvaient ainsi pratiquer divers types d’accouchement avec un panel de conditions différentes.
Le mannequin d'origine de Madame du Coudray, conservé au musée Flaubert et d’histoire de la Médecine à Rouen.
Photographie récupérée depuis ce site.
Madame du Coudray a formé de vraies sages-femmes à travers le Royaume et a épargné la vie de nombreuses femmes et enfants. Si nous sommes ici aujourd’hui, c’est sûrement grâce à elle. Rendons lui hommage : elle n’est pas connue du grand public et c’est vraiment dommage. Il y avait avant Madame du Coudray ; il y a eu après Madame du Coudray.
Finissons hélas cet article avec une petite note amère. Grâce à Madame du Coudray, l’"Art de l’accouchement" devient en 1806 la première spécialité médicale reconnue (ratification de Napoléon). Du coup, les médecins (hommes) trouvèrent que finalement, l’obstétrique était assez bien pour eux et enfin digne d'intérêt. Ils s’attribuèrent alors ce savoir, reléguant les femmes au rôle d’assistante et non plus d’officiant comme elles l'avaient fait durant des siècles, voire des millénaires.
Petite digression : le terme sage-femme ne veut pas dire "femme sage", c'est à dire "femme qui connait", mais "qui connait la femme", notez la subtile nuance. Donc un homme qui exerce ce métier est bien UN sage-femme, c'est à dire, un homme qui connait la femme. Il se trouve que depuis quelques années, les termes de maïeuticien (du grec "qui accouche") ou parturologue (de parturition) tendent à se répandre. Sûrement du fait de quelques hommes atteints dans leur honneur . Et vous allez voir que dans 50 ans, on ne dira plus une sage-femme pour une femme mais une maïeuticienne (soupir).
Pour aller plus loin :
- Différentes photos du mannequin
- Un peu plus d'information sur Madame du COUDRAY